L'art en jeu(x)

"Ce que l'art est tout d'abord, et ce qu'il demeure avant tout, est un jeu. "
Georges Bataille, Lascaux ou la naissance de l'art (1955)
Plateforme de ressources proposée par Sylvain Bory, professeur de lettres modernes, conseiller arts visuels-photographie, architecture, design - Daac du rectorat de Créteil.

Interroger les règles du jeu dans l'art

Phénomène de société, universel et populaire, le jeu allie règles strictes et actions aléatoires, tensions générées par la visée de tout jeu (gagner) et convivialité. Les artistes s’emparent des jeux pour mieux en détourner les règles, pour en montrer les limites, et pour en inventer de nouvelles, parfois jusqu'à l'absurde. Et si la leçon des artistes était de redonner au jeu et au joueur/ à la joueuse toute leur liberté (ré)créative ou subversive ?

Pour aller plus loin
- Faites vos jeux ! un podcast qui analyse l'idéologie du jeu, sa place dans le travail et la société contemporaine "gamifiée" : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-faites-vos-jeux
- Sur la régulation des jeux par la société avec Élisabeth Belmas, professeure émérite à l'Université de Paris XIII : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/concordance-des-temps/le-jeu-une-longue-assuetude-9599039

Retourner les règles - Quand l'art devient un terrain de jeu

"Titoune : Le football, donc, se joue sur un terrain engazonné de 120 mètres de long et 90 mètres de large, sur lequel s'affrontent autour d'un ballon deux équipes de 11...footballeuses ou footballerines, je ne sais pas comment on dit ?
Paul Tabard : Je ne sais pas non plus. Disons onze joueuses, on verra ça plus tard."

Entre terrain de foot et espace de tableau, voir le film de la série "Merci de ne pas toucher" de Hortense Belhôte (arte.tv) consacré à L'Olympia de Manet (1863) : https://www.arte.tv/fr/videos/092036-002-A/merci-de-ne-pas-toucher-gazons/
Dans cette série humoristique qui décode des chefs d’œuvre de l'histoire de l'art, Hortense Belhôte questionne notre regard et renouvelle notre vision des tableaux par des lectures contemporaines, ouvertes et queer.

Voir aussi le travail de l'artiste Julia Borderie autour de la réinvention des règles sportives : http://juliaborderie.com/ ( en particulier le projet participatif Tripple Dribble de 2015 qui réinterprète les règles du basket ball)
Julia Borderie, née en 1989, s’intéresse à créer des formes plastiques qu’elle conçoit comme des espaces de négociation témoignant de dialogues entre différents acteurs de disciplines et milieux. Ceux-ci lui étant nécessaires pour provoquer et réévaluer des connaissances acquises ainsi que pour proposer des alternatives à une façon de faire, redéfinir des identités et créer de nouvelles possibilités en tentant de générer des modèles inusités.
En 2022-2023, elle est en résidence avec deux lycées du Val-de-Marne et le centre d'art d'Ivry-sur-Seine Le Crédac pour le projet "Hors Jeu" : https://credac.fr/bureau-des-publics/hors-jeu-julia-borderie
Adel Abdessemed Coup de tête - 2012
‘Coup de tête’, 2012 Bronze 540 × 348 × 218 cm, Pinault Collection.

Vidéo Youtube de l'artiste à propos de son œuvre : https://www.youtube.com/watch?v=iElLfRWElk8&t=8s

Extrait d'articles lors de l'exposition de la sculpture sur le parvis du centre Pompidou (Bpi) : https://balises.bpi.fr/quelle-intention-adel-abdessemed-a-t-il-mise-dans-sa-statue-le-coup-de/
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Bianca Argimón Materazzi - 2016-17
Materazzi (2016-17) 2016-2017
Hêtre, métal, résine, céramique émaillée, 85 × 124 × 72 cm, MAC VAL.

Propos de l'artiste : "Concernant le babyfoot, intitulé « Materazzi », exposé au Palais de Tokyo, l’idée n’est pas de rappeler le coup de tête de Zidane. J’ai donné ce nom car les Italiens sont de grands comédiens sur la scène sportive, et l’idée est de rappeler ces jeux de rôles qui se déroulent sur le terrain. C’est en quelque sorte la nouvelle commedia dell’arte, un spectacle où les joueurs se mettent en scène de toutes les manières possibles. Ce qui m’intéressait, c’était de venir perturber le quotidien de quelqu’un qui sort du travail et qui a envie de se défouler, mais se retrouve face à une situation dans laquelle il est bloqué, empêché de jouer au babyfoot, parce qu’une comédie se joue sur son terrain de jeu."

Commentaire audio de l’œuvre par l'artiste : https://www.macval.fr/A-mains-nues-7250

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Chloé Ruchon Baby-foot Barbie foot - 2007
Chloé Ruchon (née en 1985) France, 2009 Fabrication Bonzini Mélaminé, hêtre naturel, acier peint, métal, plastique, liège, tissu - Musée des Arts Décoratifs.

Sur le site du MAD dans une rubrique :

" Dans une création contemporaine où humour et contestation sont légitimés, le jeu devient un thème comme un autre. Le Barbie Foot de Chloé Ruchon évoque la revendication féministe en détournant un jeu ordinairement très masculin, le Baby Foot, pour en donner une interprétation subversive avec des poupées Barbie rose fuchsia de grande taille."

Prolongement sur la question du genre dans l'image du sport :
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Benedetto Bufalino Le Baby-foot urbain - 2014
Carton, scotch, peinture, 100 m2
Vue du projet sur l'esplanade du Musée d'art contemporain de Lyon. Performance.
Voir aussi une autre installation : Le Terrain de foot en façade (2017).


« Il ne faut pas que les choses soient faites pour les enfants et pour le jeu. Sinon le jeu devient un exercice, ça devient quelque chose qui est le contraire même de la démarche aventureuse du jeu. C’est cette même petite part, non pas de danger mais de singularité qui les distraie ». (Émile Aillaud, architecte, en 1972, à propos des aires de jeux installées dans le tissu urbain - Anthologie, aires de jeux au Japon (2019) de Vincent Romagny)

- Voir aussi le football à trois équipes du peintre situationniste Asger Jorn (1964) pour sortir du système d'opposition binaire, rejoué à Vénissieux par le collectif Pied de biche (Biennale de Lyon 2009).
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Jouer avec les règles - quand l'art perturbe la logique du jeu : échec et mat ?


Marcel Duchamp Les Joueurs d'échecs - 1911
Huile sur toile, 50 x 61 cm, Centre Pompidou.

Les Joueurs d’échecs est un tableau-manifeste de Marcel Duchamp, témoignant d’une nouvelle phase de sa pratique picturale, qui connaît une évolution profonde et rapide depuis 1908. Joueur d’échecs passionné, il peint ici ses deux frères, Jacques Villon et Raymond Duchamp-Villon, disputant une partie. Peinte à la lumière du gaz, l’œuvre affiche des tons sombres qui caractérisent les recherches cubistes au tournant des années 1910. À cette époque, Duchamp participe aussi, avec ses frères, aux discussions du groupe de Puteaux. La forme déconstruite du tableau anticipe certaines des recherches conceptuelles de l'artiste jusqu'à son abdication de l'art au profit des échecs.

La dernière exposition sur l'artiste en France (2015) : https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/cqpzoxR
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Gabriel Orozco. Horses Running Endlessly. 1995 | MoMA
Gabriel Orozco. Horses Running Endlessly. 1995. Wood. 3 3/8 x 34 3/8 x 34 3/8" (8.7 x 87.5 x 87.5 cm). 256 cases toutes occupées par des cavaliers.

L’œuvre est un échiquier détourné et agrandi ne comportant que des cavaliers qui ont la faculté de pouvoir se déplacer verticalement et horizontalement en un seul mouvement et ainsi de créer sur le jeu un schéma circulaire. Par cette
réinterprétation du jeu, le système rigide des règles se transforme en une trajectoire organique et sans but précis, questionnant ainsi la notion d’infini, de mouvement, de rythme qui implique l’idée de trajectoire et de stratégie. Dans ce travail, l’artiste brouille la frontière entre art et réalité, objet du quotidien et objet singulier.

Voir aussi le Billard à trois bandes Carambole with Pendulum (1996) : https://mcachicago.org/collection/items/gabriel-orozco/2929-Carambole-with-Pendulum
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Germaine Richier Chessboard, Large Version (Original Painted Plaster), 1959 | Tate
‘Chessboard, Large Version (Original Painted Plaster)’, Germaine Richier, 1959

Dans cette œuvre composée de cinq personnages hybrides en plâtre sculpté et peint représentant le roi, la reine, l'évêque (alias le fou), le cavalier et le château (alias la tour), l'intention de Germaine Richier était de représenter le thème du jeu d'échecs, de ses pièces et de leur possibilité de déplacement, accrue par la dynamique des couleurs, qu'elle commence à pratiquer en 1956 ("La couleur est gaie. Je veux que mes statues soient gaies, vivantes. La couleur sur une structure est généralement gênante. Mais après tout, pourquoi pas ?"). Le Roi porte les attributs de l'artiste (outils de sculpture) tandis que la Reine est percée d'un trou béant avec de longs bras qui en fait la statue la plus grande de l'échiquier. Considérant la sculpture comme un acte mystérieux et magique mais aussi profondément intime, Germaine Richier donne à ses masses organiques une humanité et un écho puissant : peindre ses sculptures est une manière pour elle de continuer à créer, alors qu'elle ne pouvait plus modeler. Elle meut d'un cancer du sein la même année.

Voir aussi :
- La version en bronze dans le jardin des Tuileries : https://www.centrepompidou.fr/fr/ressources/oeuvre/cknoXX
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